Le Sénégal, pays ayant plus de 700 kilomètres de côtes, est
atteint par l’érosion côtière.
Pour le Pr. Boubacar FALL, géologue à la Faculté des
Sciences de l’Université de Dakar, ce phénomène est avant tout naturel mais aujourd’hui,
il peut être déclenché ou accéléré par l’action de l’homme.
On parle
beaucoup de l’érosion côtière au Sénégal. De quoi s’agit-il ?
L’érosion côtière est un phénomène naturel. C’est un
processus d’enlèvement et de dépôt de sédiments, par lequel les plages se
forment, se maintiennent et évoluent. Ce processus entre dans le cadre de ce
qu’on appelle le cycle des plages. Ce dernier peut parfois se manifester par l’avancée
de la mer sur le continent.
Existe-t-il
des données scientifiques qui permettent de mesurer cette avancée de la
mer au Sénégal?
Si vous faites un tour sur le littoral, vous vous rendrez
compte des dégâts, des impacts physiques provoqués par l’érosion côtière. Je
prends pour exemple la récente et forte houle qui s’est abattue sur la côte et
qui a endommagé pas mal de maisons sur la petite côte. Et lorsque vous discutez
avec les populations qui habitent le long de ce littoral, elles vous disent que
lorsqu’elles ont construit leurs habitations, la mer était à 100 mètres, et il
y avait une plage alors qu’aujourd’hui, au même endroit, vous n’avez pas 10 mètres
de plage. Cela témoigne nettement de l’avancée de la mer sur le continent.
Quelle
est la part de responsabilité humaine ?
L’érosion côtière a d’abord des origines
naturelles : outre le processus d’enlèvement et de dépôt de sédiments sur
la plage, il faut ajouter le rôle des fortes houles qui provoquent l’élévation
du niveau de la mer. Mais il y a aussi des causes anthropiques que sont les
prélèvements de sables et les constructions (habitations…) sur les plages. Ces
actions de l’homme peuvent accélérer, voire déclencher le phénomène parce
qu’elles interfèrent dans le cycle naturel de la plage.
Quels
sont les zones de Dakar les plus menacées ?
Si vous regardez bien Dakar, vous avez la tête de la
presqu’île, vous avez également la côte nord qui va de Yoff à Saint-Louis et la
côte sud qui va de Dakar jusqu’à Fatick. Sur
la côte nord, il y a un cordon dunaire qui contrebalance l’érosion
côtière. Par contre, la côte sud est beaucoup plus sensible, parce que vous
n’avez pas ces dunes mais un cordon littoral, constitué par un mélange entre
des sables et des sédiments. De Yarakh jusqu’à Joal, les impacts sont plus
perceptibles contrairement aux zones de Malika, Yoff et bien d’autres où
l’érosion côtière est plus ou moins contrebalancée par les dunes. Parmi les
zones les plus menacées, il y a Mbao, Ruffisque, Bargny, et tout le long de la
côte jusqu’à Saly (Mbour) où les hôtels n’ont plus de plages.
Quel
est le sort des populations dont les habitations risquent de disparaître ?
Quand l’érosion commence, il est difficile de l’arrêter.
Souvent, on a l’habitude d’apporter des réponses à des effets et non à des
causes. Quand il y a un recul de la ligne de rivage, on vient mettre un mur et
non chercher à comprendre les causes réelles. Or il faut chercher des solutions
à long terme. Une des pistes, appelée « retrait stratégique »,
consiste à libérer des espaces qu’on avait occupés pour que la nature se
rééquilibre d’elle-même. C’est ce qu’on appelle, en d’autres termes, le relogement.
De plus, nous pouvons aussi apprendre de nos erreurs
d’aménagement pour anticiper sur les impacts de demain. Quand on va aménager
une zone côtière, il faut qu’on fixe des limites à ne pas franchir afin de
permettre à la nature de se rééquilibrer.
En réalité, l’érosion côtière n’est pas un problème en
soi. On s’y intéresse seulement s’il y a des enjeux socioéconomiques et environnementaux.
Faut-il
privilégier les brises lames plutôt que de construire des digues ?
Vous avez plusieurs types d’ouvrages de protection. Les
brises lames sont des ouvrages immergés
qui sont construits parallèlement à la plage. Elles ont pour rôle de
casser la force de la vague afin que celle-ci n’arrive aux rivages. Néanmoins, ce
ne sont pas des ouvrages adaptables à toutes les côtes. Et si vous faites des
ouvrages inadaptés, vous déplacez le problème au lieu de le résoudre.
Le
Président Macky Sall a mis sur pied un programme spécial de lutte contre
l’érosion côtière. Quel est votre regard d’expert sur la gestion de ce
phénomène par les autorités ?
C’est à saluer. Si vous prenez le littoral sénégalais,
vous vous rendrez compte que sur les 13 millions de Sénégalais, près de 9 millions habitent entre les villes
de Saint-Louis, Louga, Thiès, Fatick, Kaolack et Ziguinchor. Autrement dit,
plus de la moitié de la population sénégalaise habite sur la zone côtière. Il y
a donc énormément d’enjeux socioéconomiques et environnementaux. Toutefois, ce
qu’il faut déplorer dans ce programme, c’est le manque d’études approfondies
qui précèdent la mise place de ces ouvrages.
Recueilli
par Mamadou Yaya Baldé
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